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Raymond Tournier

 

 

(…) Fils de réfugié républicain espagnol, j’arrivais en France fin janvier 1939, avec mon frère et ma mère. J’avais juste 13 ans.

Envoyé d’abord à Beaumarches dans le Gers, où nous fûmes cantonnés avant toute chose, dans une salle d’accueil aux réfugiés. Là, on me refusa l’entrée à l’Ecole publique. Les gens du village préférèrent me choisir parmi une dizaine d’enfants sur la place publique, pour «m’expédier » comme main-d’œuvre à 4 sous aux durs travaux agricoles.

Début 1940, nous fûmes envoyés à Angoulême, où nous rejoignîmes mon père qui avait été expédié du camp de concentration d’internement des réfugiés républicains d’Argeles/Mer, afin de travailler à la construction du camp militaire des Trois Chênes à Angoulême. Là, je devenais apprenti boulanger.  (…) A cette même époque, la France et l’Angleterre venaient de déclarer la guerre à l’Allemagne. Lorsque la bataille de 1940 arriva, je venais d’avoir mes 14 ans. Je ressentais alors la défaite française avec amertume, en partie dû au traumatisme causé par notre guerre civile. On commençait juste à retrouver un certain équilibre, je fus donc non seulement surpris par cette défaite, mais aussi très triste, une grande inquiétude monta alors en moi, je pensais à notre future vie en France. (…) Lorsque PETAIN est arrivé au pouvoir, je n’ai émis aucune opinion, étant encore très jeune et peu intègre à la vie française.

(…) En ce qui concerne De GAULLE, j’avais seulement entendu parlé de son appel à la résistance. Je ne pourrais vous donner qu’une vague réponse, car je n’avais pas une notion bien précise de son appel, mais je crois que cela me donna un espoir pour une possible victoire. (…) L’armée d’occupation s’installa très rapidement. Pour nous réfugiés républicains espagnols, l’éventualité d’une quelconque occupation pouvait être ressentie comme un immense danger, et notre France d’adoption devenait de plus en plus dangereuse (n’oubliez pas que plus de 1000 réfugiés républicains espagnols résidant à Angoulême furent – pour les hommes – déportés au camp de concentration de Mauthausen. Quant-aux femmes et aux enfants, ils furent réexpédiés en Espagne franquiste. Une trentaine d’hommes déportés seulement purent revenir vivants). Nous pouvons dire dans notre famille que nous devons probablement la vie aux gendarmes d’Aigre qui nous « accompagnèrent » au camp des Alliès à Angoulême, 12H après le départ du convoi, duquel partirent les Espagnols sous la garde des Allemands.

C’est à partir de cette époque que mon père alla travailler comme charbonnier pour ne pas être trop près des troupes d’occupation allemandes et des « collabos ». C’est seulement par la suite que je le rejoignis (début 43).

(…) Je me trouvais donc avec mon père au début de l’année 1943, dans la forêt de La Braconne en qualité de charbonnier. Là, je fis la connaissance d’un groupe de jeunes, vivant planqués dans les fermes ou dans des cabanes, dans les bois. Ils avaient fui leur « réquisition » pour le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.). Du fait que je rentrais le samedi à Angoulême, avec le camion qui transportait le charbon à la maison Worms d’Angoulême, tous les vendredis soir je recevais un petit paquet destiné à leurs familles que je cachais dans un sac de charbon plein, et que je récupérais au moment du débarquement. Là, je devais me rendre à un lieu précis (chaque fois différent) où je remettais le petit paquet à un intermédiaire, souvent le même, et dans le cas contraire, j’étais averti par le dernier, du changement. Il me remettait alors à son tour un petit paquet que je cachais dans un sac vide le lundi matin au départ vers la « Charbonnière », que je remettais le soir même à une ferme où j’allais tous les jours chercher du lait. (Ces premiers groupes de « réfractaires », formèrent par la suite un des premiers maquis de Charente). Au début du mois de mai 1943, j’ai dû arrêter cette activité car nous pensions que cela devenait chaque jour de plus en plus dangereux. Et de là est née l’envie d’entrer dans un maquis pour avoir une action de résistance plus active.

(…) Mes motivations d’entrée dans la résistance armée, je pense qu’elles furent la même que pour des milliers je jeunes voulant participer à la libération de la France, et il est bien difficile avec les années de se rappeler les détails précis de cette décision, mais je pense que la principale fut les circonstances de la vie que j’avais à vivre en ma qualité « d’Espagnol Rouge » et tous les dangers que cela pouvaient représenter au quotidien pour moi. Cette adhésion à la résistance fut progressive, bien sûr ! (…) Suite à ma cessation de « courrier », fin mai 1944, je pouvais entrer en contact avec un petit groupe de jeunes qui partait rejoindre le maquis dans le département de la Creuse, et après pas mal de difficultés nous fûmes intégrés à un groupe F.T.P.F.

Plus tard, je fus affilié au groupe F.T.P. de « Rico »…(n’oubliez pas que j’étais jeune, 18 ans et à cet âge là, je ne prêtais pas la moindre attention aux lieux où je me trouvais, c’est pour cela qu’il m’est bien difficile en 2003 de me rappeler les lieux précis surtout que bien souvent nous n’y restions que quelques heures ou jours). Par la suite au mois de juillet, on m’accepta dans un groupe de « Guérilleros espagnols » venant juste de se constituer afin d’avoir un bon effectif d’hommes pour la création des régiments de guérilleros espagnols (ils participaient déjà depuis pas mal de temps à la lutte pour la libération de la France).


En août 1944, nous fûmes regroupés à Availles (Charente limousine), où on m’affecta au groupe « Rico », avec lequel je participais à divers actes de sabotages, attaques de convois de l’armée allemande, à quelques actes de « justices » sur les « collaborateurs » et miliciens, et à la libération d’Angoulême, le 31 août 1944.

A la suite de quoi, je réintégrai les « Guérilleros espagnols », eux aussi à Angoulême. De ce groupe, se forma début sept., une Cie qui fut envoyée sur la poche de Royan (secteur de Semussac). Là, nous installâmes une ligne de front qui à priori devait maintenir les troupes allemandes acculées dans la poche de Royan. Après avoir « récupéré un troupeau de 80 têtes de vaches » se trouvant dans un prés situé dans le « no mas land » appartenant au château Ferinno MARTELL, et où tous les soirs les Allemands venaient se ravitailler en lait et parfois en viande, nous fûmes attaqués par les Allemands voulant récupérer les bêtes déjà parties… ! Le combat dura toute la matinée et 2 de nos camarades furent tués. Une semaine plus tard, je rentrais à Angoulême avec ma Cie. Je rejoignis alors mes camardes du groupe « Rico » qui se trouvaient sur la ligne de front de la poche de La Rochelle. Par la suite je fus affecté au 108 R.I. et cela jusqu’au mois d’avril 1945.